Tu crashes, je crashe, elles crashent.

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Mon index tape sur la manette de vitesses de mon vélo et je change rapidement les plateaux pour m’ajuster au terrain. Le peloton de tête s’agite en voie du prochain tournant. J’ai la forme, mes jambes sont fortes et je m’amuse. Dire que j’ai presque rebroussé chemin devant la température en me levant ce matin. Il pleut et c’est trop froid pour la mi-juillet. Habituellement, je refuse de conduire mon bolide dans ce genre de conditions, mais en ce moment, je ne regrette pas mon choix.
Le circuit de la Classique Jean-Yves Labonté est magnifique. Les arbres sillonnent le trajet et le bitume est beau. En  vélo de route, c’est très apprécié. Devant les 85 kilomètres à compléter, je m’économise dans le milieu du peloton. Les quinze femmes qui m’entourent s’échangent des sourires. Avant le début de la course, nous rigolions ensemble assis dans le coffre de nos voitures respectives à l’abri de l’intempérie.

La course est agréable. Au fur et à mesure que j’avale les kilomètres, j’analyse ma stratégie du dernier tour pour gagner des positions. Je n’ai pas la plus grande des expériences, mais j’apprends vite. Chaque fois que l’on passe devant la ligne de départ qui marque un tour, je prends un peu plus ma place au travers de mes comparses. Le débit accélère et je choisi d’aller de l’avant. Devant les 20 km restant, je sais que les accélérations tenteront de m’essouffler et me ralentir. On sent que l’énergie commence à manquer chez certaines coureuses. C’est le temps de doubler celles qui sont plus fatiguées. En s’engageant dans le tournant, j’ai une bonne place en tête. Devant moi, les deux cyclistes augmentent la cadence dans le faux-plat descendant.

30km
35km
40km
42….

J’appuie soudainement sur mes deux manettes avec toute la puissance de mes mains. La deuxième coureuse de tête s’étend de tout son long du coté gauche de la rue et son vélo s’éjecte au côté droit. Aucune issue devant moi et ma roue avant a pour cible la tête de la cycliste tombée. En appuyant sur les freins, mon vélo dérape à la droite sur le sol encore mouillé. Je rattrape de skid mais l’échappe à la gauche. Je tombe, je glisse et je sens mes lunettes qui frottent le sol et qui protège mon visage. Une fois immobilisée, je me relève et remarque que le peloton au complet est par terre. Certaines se relèvent, d’autres non. J’essaie de bouger mais ma jambe droite me lance un cri de douleur et m’annonce que je suis blessée. Le survêtement qui couvre ma jambe est déchiré et j’entrevoie la chaire saignante.

J’ai mal. J’ai très mal.


 

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Mon index tape en tambour sur la barre d’espacement du clavier de mon ordinateur. Il fait beau et c’est la journée parfaite pour sortir et se balader sur la montagne. Je me sens énervée par le beau temps et je boude mes vélos accrochés au mur. Dans les deux dernières semaines, j’ai mangé du chocolat pour déjeuner, des céréales pour diner et de la crème glacé pour souper. Mes draps sont remplis de miettes de biscuits et j’ai renoué avec les boissons sucrées. J’ai le moral en yoyo et j’avale mes émotions au rebond. Puis y’a ce moment très précis où tu réalises que si tu manges la même quantité de nourriture mais que tu ne fais plus 300 kilomètres de vélo par semaine, il se peut que tes shorts deviennent trop petites. Ça me donne l’impression d’être dans un corps que je ne reconnais plus. Un corps qui s’arrête subitement pour s’échouer dans un lit.

J’accepte difficilement ce genou meurtri par l’impact violent mais je n’ai d’autres choix que d’accepter la triste réalité et prendre le temps. Le temps qui me semble long au son du tic tac de l’horloge qui se fait entendre chaque fois que mes béquilles touchent le sol. Ça me prend beaucoup d’humilité pour accepter que je me suis « pétée la gueule » et que la fille à vélo n’est plus pour quelques temps. Tous les projets tombent en suspend; le travail, les vacances, les sorties…

À ce point, je me rends compte qu’il n’est jamais facile de remonter la pente quand on l’a déboulé mais que parfois, la vie nous envoie exactement ce qu’on avait lancé dans les airs.

Quelques jours avant mon accident, je me rappelle avoir dit haut et fort combien j’étais fatiguée et tannée de faire du vélo et que j’avais de besoin d’un break. L’univers m’a entendu et m’a donné exactement que j’avais demandé; du repos. C’est bien une leçon que j’aurai appris. Je ne suis pas blessée pour toujours, mais je me suis suffisamment fait mal pour avoir une convalescence de plusieurs semaines. 

En même temps, c’est aussi ça la compétition. On joue avec les cornes du taureau et des fois elles nous frappent et nous rappellent qu’il y a aussi des risques à prendre quand on pousse son sport à un plus haut niveau.

Mon nouveau défi est de réapprendre à marcher normalement, détendre mon genou sans douleur et refaire tourner le pédalier de mon vélo. Dans une autre optique, j’aurai aussi à piler sur mon orgueil et apprendre à doser ma passion sans que celle-ci prenne trop de place dans mon horaire et qu’elle envahisse mon cerveau jusqu’à m’en faire perdre le plaisir. Ce n’est pas mission impossible, et dans quelques temps, je rirai probablement de cet incident. Mais face à  ces nouveaux objectifs, je dois garder la tête haute et le moral optimiste.

On dit toujours que « rien n’arrive pour rien ».
En voici un bel exemple et un bon moment pour moi de remettre mes pendules à l’heure.

 

Ce n’est pas la fin du monde.
Mais c’est certainement la fin de ma saison !

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